archeologie gallo-romaine Bourgogne

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La triade des Bolards (Nuit St Georges)

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TROIS DIVINITÉS DES AUX BOLARDS (NUITS-SAINT-GEORGES, Côte-d'Or)



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Les figures de divinités, de gauche à droite pour le spectateur,
représentent :

 

— une jeune déesse-mère, dont la tête n'a pas été retrouvée.Elle est vêtue d'un manteau ouvert sur une tunique talaire ;

 

— une divinité dont la nature, en partie féminine, ne laisse pas de doute : les seins, la forme du cou, les traits du visage et les épaules tombantes..., malgré son caractère hermaphrodite puisque l on aperçoit le début d un sexe d homme et des seins de femmes.
Coiffée d un polos ou d une couronne murale ou tourelée symbole de la suprématie sur les cités, elle est nue dans un manteau ouvert ; il pourrait s'agir de Fortuna ou de Cybele ou tyché. Mais elles n étaient pas hermaphrodite... il pourrait logiquement s agir de Panthea Fortuna (Deesse Totale) assimilée à Isis

 

— un dieu tricéphale, barbu, relativement âgé, portant des bois de cerf et dont la tricéphalie est réalisée ainsi :

une seule tête et un seul cou pour trois faces ; en conséquence, les deux yeux de la face centrale sont aussi les yeux droit et gauche des faces latérales. Malheureusement, il ne subsiste, entier, que le visage de droite. Le cou unique porte un torque à tampons ; le dieu est vêtu d'une tunique et d'un manteau agrafé en biais sur l'épaule droite.

La tunique à longues manches moule le bras droit intact et se termine au poignet par un épaississement qu'on pourrait prendre pour un bracelet. On reconnaît dans ce personnage le dieu gaulois dont le nom est connu (sauf la première lettre), ainsi qu'un aspect,par le pilier des Nautes de Paris : [.] ERNUNNOS, peut-être CERNUNNOS.

Les deux déesses tiennent la patère et la corne d'abondance. Le dieu tricéphale paraît porter sur ses genoux — comme sur une stèle de Reims — un sac, qu'il vide de la main droite et dont le contenu se répand dans le pli en corbeille de son manteau. Sur
le sol, à la droite des divinités, trois attributs : une corbeille de fruits pour l'Abondance, un serpent se dirigeant vers l'hermaphrodite, une bourse pleine, liée par deux cordons, aux pieds du dieu tricéphale.



Quelle interprétation donner à cette stèle ? De quelle valeur religieuse est-elle chargée ? La déesse-mère de l'Abondance existe déjà, aux Bolards dans des groupes de trois divinités, dont l'un, sorti d'un puits du vicus en 1948, semble bien être de la même main. On la retrouve dans les innombrables stèles des trois déesses-mères et dans les « couples éduens », avec les mêmes attributs.

 


Il faut y reconnaître une iconographie gallo-romaine populaire.
Les dieux tricéphales et les dieux aux bois de cerf ne sont pas inconnus dans la région et s'y retrouvent déjà, avec deux autres divinités, à Reims, Dennevy, Beaune...

Le pays des Rèmes semble aussi, en effet, un haut-lieu de leur culte, avec la belle stèle de Reims, où l'on voit Cernunnos, assis dans la position dite bouddhique, entre Mercure et Apollon.


Chez les Lingons, on connaît les deux tricéphales de Langres ; dans le groupe de Dennevy, au musée d'Autun, le dieu barbu répète exactement la tricéphalie des Bolards.
Enfin, à Beaune, il figure assis, tenant à deux mains une corne d'abondance : il a trois têtes et trois cous ; un Pan cornu et un dieu nu à la corne d'abondance l'accompagnent.

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Une récente découverte, à Escolives, près d'Auxerre (1971), montre, une fois de plus, que le dieu aux bois de cerf des Bolards n'est pas isolé dans la Gaule de l'Est. Qu'on appelle le dieu de la stèle des Bolards « CERNUNNOS » ou qu'on se cantonne prudemment dans l'expression « le dieu tricéphale aux bois de cerf », il n'en est pas moins typiquement celtique.

 



 

Qui est, alors, cette divinité, nue, androgyne, qui siège entre deux assesseurs si nettement gaulois ?

Ne pourrait-elle pas témoigner de quelque influence orientale ?

La haute couronne murale ne suggérerait-elle pas le nom de Cybèle ?

L'abondance d'éléments orientaux dans la vallée du Rhône, l'afflux des légionnaires venus d'Orient par le Danube, rendent vraisemblable la connaissance de son culte aux Bolards, situés près des grandes voies de passage à une sorte de carrefour où convergent les vallées du Rhône, de la Saône, du Rhin et du Danube, les cols des Alpes et du Jura.


Le culte de Cybèle est d'ailleurs important à Autun et à Lyon,dès le second siècle.
Quels témoignages pourrait-on invoquer en faveur d'une Cybèle,dans le centre cultuel des Bolards ?

Le premier grand argument est la présence d'un mithraeum. On a, depuis longtemps, noté une connexion étroite entre Mitra et Magna Mater et, bien souvent,le mithraeum s'édifie près des temples de la déesse.
Une dédicace (ANTIOCUS), sur le socle du dadophore Cautès révèle, d'après E. ïhevenot, la présence d'éléments syriens aux Bolards. L'existence d'un Attis funéraire, dans le fronton triangulaire d'une stèle de la nécropole, évoque un culte rendu à Cybèle.

 

Cependant, l'iconographie ne révèle, jusqu'ici, aucune Cybèle hermaphrodite.
La déesse n'est jamais représentée nue ; et il ne paraît pas que les légendes celtiques, ni les mythes, ni les objets trouvés dans les fouilles, du pays éduen en particulier, aient jusque-là révélé de divinités hermaphrodites autres que d'inspiration gréco-romaine.


Mais on sait que la révélation des organes sexuels avait une double valeur, à la fois positive, pour-stimuler les puissances de vie, et prophylactique, pour écarter les forces hostiles.

M. G.-Ch. Picard propose de voir dans la figure centrale ungenius, plus précisément Pantheus Augustus (Dieu Total hermaphrodite).
Réunissant en lui les caractères des dieux et des déesses, il serait normal qu'il présentât un certain hermaphrodisme.
L'inscription DESSAU 6 925 assimile Pantheus à Tutela (genius tourelée protectrice d'un lieu), ce qui rendrait compte à la fois des attributs et des fonctions protectrices.

Le type de la déesse tourelée arrive ainsi à perdre sa valeur primitive et à n'être plus qu'une personnification de la Fortune, de la prospérité, sans relation avec une cité ou une divinité déterminée. On pourrait penser au « génie » d'une région.

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L'hypothèse Pantheus expliquerait également la présence donnée au dieu  Cernunnos. Un rapprochement assez curieux : dans l'autre stèle des Bolards, à trois divinités, déjà signalée et qui semble de la même main, la figure centrale était une Fortuna.

Des « genius » tourelés, imberbes et à longs cheveux, figurent dans le répertoire de la sculpture éduenne (Esp. 2 023, 2 173,
2 131).
D'après Jean Bayet, genius signifie : principe de fécondité génétique, comme l'indique son nom. « Une mauvaise approximation grecque, tradiusant genius par lychè, multiplia les génies protecteurs, sans égards à la valeur première du mot.
On l'avait si bien oublié que l'évocation du Genius Urbis Romae s'accompagnait d'un doute précautionneux sur son sexe " sive mas sive femina ". »


Quel que soit le nom de cette divinité bisexuée, assistée de divinités gauloises, on peut penser qu'on se trouve, avec cette stèle, devant une interprétation syncrétique de divers personnages, représentant des fonctions de caractère agraire, fécondant et tutélaire, où la divinité principale a dû être identifiée à une déesse-mère au maximum de sa puissance.


Hermaphrodite, elle représenterait, avant tout, la force divine qui engendre, une sorte de Terre-Mère, principe de toute fécondité, existant par elle-même, maîtresse de ce qui vit et croît ; reine et protectrice des animaux comme de la végétation et pourvue en outre d'une patère et d'une corne d'abondance pour préciser sa mission.


Si le dieu aux bois de cerf n'a pas de parèdre nommément désignée, il est souvent accompagné d'une figure féminine avec la corne d'abondance (Saintes,Sommerecourt, Escolives, Dennevy).
Mais il est lui-même dieu de la prospérité. Les déesses-mères deviennent ses parèdres comme dispensatrices des biens terrestres.

On aurait donc réalisé, dans le groupe des Bolards, un syncrétisme par association, provincial et populaire, justifié par l'accent mis sur des fonctions communes. Fonctions qui pouvaient s'étendre aux pouvoirs des eaux fertilisantes et guérisseuses, dont E. Thevenot retrouvait tant de témoignages aux Bolards, ou prendre une valeur thérapeutique ou prophylactique, variantes possibles de l'efficacité des divinités associées.

Ce qu'on désire, c'est l'appui de divinités protectrices, dont on multiplie pour plus de sûreté les pouvoirs :

 

— multiplication par trois : le nombre trois jouant un rôle prépondérant dans la religion celtique ;

 

— multiplication des symboles de fertilité : cornes d'abondance,corbeille de fruits, patères, sac sur les genoux du dieu, bourse à ses pieds, serpent chthonien. Il existe plusieurs statuettes de divinités féminines aux bois de cerf dont le symbolisme reste le même.


Paul-Marie Duval, étudiant les dieux de la Gaule, a noté ce qu'il y a de significatif dans le fait que l'attribut distinctif du dieu, « cette ramure de cerf, symbole de puissance et de renouveau, soit prêtée aussi à une déesse ».

 

Il faut voir, dans les animaux du second registre et dans l'arbre de vie, autant d'autres symboles de forces régénératrices :

le taureau,reprenant la même idée de fécondité, la ramure du cerf, évoquant la végétation qui se renouvelle sans fin.

Sont-ils seulement une allusion globale aux pouvoirs du dieu aux bois de cerf, qu'on a défini « maître des animaux »?

à ceux de la toute-puissante déesse centrale, régnant sur les plantes et sur les bêtes ?

La nature du cerf comme principe de fécondité et de richesse ne saurait laisser de doute.

Il était chez les Celtes un animal sacré et on le trouve dans les environs immédiats des Bolards, sur une petite stèle de Beaune : deux cerfs affrontés, devant une source, aux pieds de deux divinités indéterminées. Des rapports directs entre Cernunnos et le symbolisme du taureau sont démontrés par le bas-relief de Saintes.

 

Le dualisme bien connu de la divinité celtique aux bois de cerf,concernant ses pouvoirs infernaux et ses pouvoirs terrestres de fécondité, se retrouve ici. L'intercession demandée, la nature du pouvoir attribué aux divinités des Bolards, passeraient aussi par le grand cercle vie-mort-vie, souligné par les âges des trois personnages : la jeune fille, la matrone, le vieillard, en relation avec les cycles de la nature figurée par les animaux et l'arbre.

 

On est autorisé à se demander si cette stèle — où ne se manifeste aucune, influence, ni grecque, ni romaine — d'un style purement local, sortie sans doute d'un atelier de sculpture aux Bolards même, vouée à deux divinités celtiques, n'aurait pas pu, par un détour qui n'est pas injustifiable, voir s'adjoindre une grande figure issue des religions orientales, dont les Bolards ont connu de bonne heure les mystères, une Magna Mater, plus ou moins assimilée aux déesses-mères locales, vers laquelle paraît nous orienter l'ensemble des symboles de la stèle, et même sa facture,son principe de composition, avec un second registre d'animaux,si souvent retrouvé sur les monuments de Syrie ou d'Asie Mineure.


On s'interroge sur la datation, que rien dans le milieu archéologique ne permet de préciser. Le style, à la fois étrange, recherché,et même savant, de la stèle, permet d'avancer avec prudence une appartenance au meme siècle. Cette impression pourrait correspondre à la vie du temple et aux caractères d'une période déjà décadente.
On sait qu'à chaque menace grave, on ne pardonne pas aux vieilles divinités d'avoir manqué au pacte qui les liait à leurs fidèles en se montrant incapables de sauvegarder, en échange du culte dont elles étaient l'objet, l'indépendance de leurs cités.

 

Deux grandes crises religieuses ont déjà ébranlé le monde antique : celle qui, pour le monde hellénistique, suit les conquêtes d'Alexandre ; celle qui, pour le monde romain, coïncide avec les Guerres Puniques.

 

Après la conquête d'Alexandre, de nouvelles formes de pensées religieuses ne manquent pas d'exercer sur les âmes une puissante attraction. Le sentiment religieux a complètement changé de nature en devenant individuel, de collectif qu'il était. Alors on voit se multiplier les adeptes des sectes à mystères qui promettaient à leurs initiés un sort privilégié dans cette vie et dans l'autre.


L'influence de l'Egypte et de l'Orient devient considérable.

Sous la menace des Guerres Puniques, en -204, de Pessinonte, avec tout son cortège de prêtres orientaux, la phrygienne Cybèle,Grande Mère des dieux, s'établit sur le Palatin, avec toute la faveur de l'aristocratie romaine.

Le silence, ou la non-présence de ses dieux, avait engagé Rome à chercher toujours plus loin de nouveaux appuis.

 

Mais bientôt devait renaître un complexe d'inquiétude, soulignant ce qui manquait encore à la religion gréco-romaine pour toucher les âmes, au moment où déferlaient les premières invasions.


Aux Bolards, plus peut-être que dans aucun autre document, on peut saisir la juxtaposition des éléments qui, dans la période ultime, aboutiront au phénomène de fusion monothéiste.

 

Les dieux officiels n'ont pas apporté la paix ; ils ont laissé s'accumuler les ruines ; on cherche ailleurs une sécurité moins précaire. Cette ardente nécessité ne transparaît-elle pas finalement dans l'insistant symbolisme de la stèle, témoin d'une époque où la foi populaire crée un des derniers exemples de syncrétisme, essayant d'amalgamer de vieux cultes, à la veille du triomphe du christianisme.

 

 

 

 

 

par le docteur Ernest PLANSON



21/09/2016